Vue normale

Reçu aujourd’hui — 8 avril 2025La Revue du Spectacle

"La Hchouma", c'est la honte en arabe, c'est ce dont on est affublé et accusé quand on n'est pas dans la norme

8 avril 2025 à 20:18
Mais la Hchouma a des sens plus doux, comme tous les mots : pudeur, humilité… quand elle n'est pas employée comme insulte humiliante, méprisante, rabaissante. Ce spectacle est le témoignage incandescent de ce que peut faire une morale, un groupe social ou une religion sur ceux qui ne sont pas dans la norme morale, sociale ou religieuse. Quitte à provoquer des suicides, des vies vouées aux drames puisque fondées sur l'hypocrisie et l'absence de désir véritable. Ne pas gêner l'ordre moral. Surtout celui qui instaure la répartition des pouvoirs entre hommes et femmes. Celui qui donne tout le pouvoir au masculin.
Je ne sais pas, on sortira un jour de cet enfer de domination pour enfin respecter tous les humains à la même hauteur. L'esprit de tolérance à la liberté individuelle demande hélas quelques générations. Le chemin est encore plus long lorsque, comme l'auteur de ce texte, on naît dans la communauté magrébine et que l'on se retrouve à vivre dans une cité de la banlieue parisienne.

Dans ce texte autobiographique, Brahim Naït-Balk expose avec une crudité brutale, mais saine, les persécutions qu'il a subies durant des dizaines d'années. Elles ont commencé dès son enfance. Fils d'un père mineur marocain, il la passa successivement dans les villes de Saint-Étienne, de Montceau-les-Mines, puis, après un bref retour au Maroc, en région parisienne et en particulier dans la fameuse cité des 3000 d'Aulnay-sous-Bois réputée pour ses révoltes urbaines, ses trafics de drogue et sa ressemblance à un ghetto moderne. Une itinérance géographique qui est une inéluctable descente aux enfers.

Car dès le collège, le petit Brahim se sent différent de ses camarades. À Saint-Étienne, où le ballon est roi, le foot ne l'intéresse pas. Pourtant, il va se forcer à rentrer dans un club et trouver sa place dans l'équipe. À défaut de réelle motivation pour le jeu, il développe son sens de l'humour et parvient ainsi à se faire l'égal de ses camarades. Il sera d'ailleurs, d'après ses souvenirs, un de ceux qui seront les plus mordants avec les faibles, les craintifs, les différents. Mais à cette époque, il ne sait pas encore que la différence qu'il ressent confusément est l'appel de sa vraie personnalité.

"La Hchouma" retrace ainsi, période après période, la longue et lente prise de conscience qu'un enfant né dans une famille marocaine traditionnelle a de son homosexualité. Le texte de Brahim Naït-Balk a le grand mérite de ne rien laisser dans l'ombre ni au placard. Tout y est précisément analysé. Aussi bien le long chemin qu'il lui fallut parcourir, révélation après révélation, pour se rendre compte de ses propres désirs et pour les accepter. Mais aussi de l'incompréhension et du déni qu'il eut à subir de la part de ses proches, de sa famille, de sa mère, mais surtout de la violence de la communauté maghrébine, particulièrement lorsqu'il résida plusieurs années aux 3000 où il fut la victime d'humiliation sexuelle, mais aussi d'un viol.

Combien de dizaines d'années lui fallut-il pour enfin vivre au grand jour son homosexualité ? Plusieurs. Plusieurs dizaines d'années à rechercher un amour interdit.

L'histoire glace le sang, heureusement le choix de mise en scène de Yann Dacosta scinde le narrateur de cette histoire en deux. Deux comédiens qui interprètent ensemble ou à tour de rôle le personnage de Brahim. Un choix qui, sans édulcorer le tragique de l'histoire, rend compte de la vitalité rare qu'il lui fallut pour résister aux persécutions, aux violences et aux discriminations qu'il subit. D'autres, avant lui, après lui, y ont sans aucun doute perdu la vie, choisissant le suicide ou la résignation plutôt que de subir le regard des autres et sa condamnation à la Hchouma.

Ce spectacle a été conçu au départ pour être diffusé en itinérance dans les collèges et les lycées dans le but d'ouvrir les esprits à la tolérance et de montrer aux jeunes de notre modernité que la vie est possible, quels que soient ses désirs, malgré les carcans que la société, la religion ou la famille imposent.
Car le chemin est encore long…
◙ Bruno Fougniès

"La Hchouma"
D'après le roman "Un Homo dans la cité" de Brahim Naït-Balk (publié aux Éditions Calmann-Lévy).
Mise en scène : Yann Dacosta.
Avec : Ahmed Kadri et Majid Chikh-Miloud.
Collaboration artistique : Morgane Eches/Cie For Happy People.
Administration/ production : Mathilde Goy et Marielle Julien
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h.

Du 2 au 19 avril 2025.
Mardi et jeudi à 21 h, samedi à 20 h.
Théâtre de la Reine Blanche - Scène des Arts et des Sciences, Salle Marie Curie, Paris 18e, 01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

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