Aux Molières 2025, Jean-Philippe Daguerre et la Comédie-Française se taillent la part du lion
Au terme d’une cérémonie d’une facture aussi classique que le contenu de son palmarès, la 36e Nuit des Molières aura vu triompher Du charbon dans les veines et Le Soulier de satin, tous deux couronnés de cinq statuettes, dont celles des spectacles de théâtre privé et de théâtre public.
La maison théâtre brûle, mais où regardera la 36e Nuit des Molières ? Tel était, sans doute, l’un des enjeux de cette soirée qui, chaque année, célèbre l’art dramatique à la française. Tandis que la poignée de manifestants alertant sur la situation économique alarmante du spectacle vivant avait été reléguée à bonne distance de l’entrée des Folies Bergères où se tenaient les agapes, la maîtresse de cérémonie, Caroline Vigneaux, a d’entrée de jeu mis les pieds dans le plat. Éphémère Marianne façon Liberté guidant le peuple, elle s’est adressé les yeux dans les yeux à la ministre de la Culture, Rachida Dati. Rappelant les « coupes budgétaires massives qui frappent le secteur culturel », elle lui a intimé, à la manière de France Gall, de « résister », avant d’asséner : « La culture ne peut pas être la variable d’ajustement de l’économie de guerre ».
Au milieu des discours globalement fort convenus des récipiendaires, y compris de Thomas Jolly, auréolé d’un Molière d’honneur, qui s’est, contrairement à sa prise de parole aux Victoires de la Musique, adonné un discours en forme d’auto-célébration de son parcours et de sa mise en scène de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 – avec, tout au plus, une vague allusion aux difficultés que traversent le secteur culturel : « Soyons prêts à en découdre, mais surtout à recoudre, à nous recoudre » –, seule la voix de Didier Brice, porte-parole d’un soir de la CGT-Spectacle, a quelque peu dénoté du climat très sage. Invitant la salle, à l’issue de son discours, à se mettre « Debout pour la culture », il a vu Rachida Dati et Jean-Marc Dumontet restés solidement vissés à leurs sièges. Durant sa propre prise de parole, le président de la Nuit des Molières a d’ailleurs pris fait et cause pour la ministre de la Culture, et fustigé les « fausses vérités » prononcées, selon lui, par le comédien – notamment concernant les 100 millions d’euros d’annulation de crédits dont pâtirait une nouvelle fois le budget de la rue de Valois selon le Syndeac.
Côté palmarès, l’Académie s’est, une nouvelle fois, attachée à couronner les rois. Nommé cinq fois, Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre a fait carton plein et remporté autant de récompenses : le Molière du spectacle de théâtre privé, celui de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé, celui de la comédienne dans un second rôle pour Raphaëlle Cambray, celui de la révélation féminine pour Juliette Behar et celui de l’auteur·trice francophone vivant·e pour Jean-Philippe Daguerre lui-même. Autre favori de la soirée, nommé six fois, Le Soulier de Satin de Paul Claudel mis en scène par Éric Ruf repart avec cinq prix : le Molière du spectacle de théâtre public, celui de la comédienne dans un spectacle de théâtre public pour Marina Hands, celui de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public, celui de la création visuelle et sonore et celui du comédien dans un second rôle pour Laurent Stocker. Sur le banc des déçus, on peut notamment citer Les Liaisons dangereuses d’Arnaud Denis, qui doit se contenter du Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé remis à Delphine Depardieu, et Léna Bréban qui, en dépit de ses cinq nominations, dont quatre liées à Peau d’homme et une à Sans famille, repart bredouille. Revue de détail d’un palmarès où le privé et la gent masculine ont, en dehors des catégories réservées, brillé, une fois de plus, par leur omniprésence.
Molière du spectacle de théâtre privé : Du charbon dans les veines
Déjà distingué en 2018 pour Adieu Monsieur Haffmann, Jean-Philippe Daguerre fait un doublé et obtient le Molière du spectacle de théâtre privé pour Du charbon dans les veines. Il coiffe au poteau Les Liaisons dangereuses d’Arnaud Denis, Les Marchands d’étoiles mis en scène par Julien Alluguette et Peau d’homme de Léna Bréban.
Molière du spectacle de théâtre public : Le Soulier de Satin
Composée de poids lourds, la catégorie du Molière du spectacle de théâtre public voyait s’affronter Ici sont les dragons d’Ariane Mnouchkine, Lacrima de Caroline Guiela Nguyen et deux spectacles de la Comédie-Française : Le Suicidé de Nicolaï Erdman mis en scène par Stéphane Varupenne et Le Soulier de Satin de Paul Claudel adapté par Éric Ruf. Et c’est finalement le patron de la Maison de Molière qui reçoit la prestigieuse récompense.
Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé : Guillaume Bouchède
Comédien fidèle de Sébastien Castro, c’est finalement grâce au rôle que lui a confié un autre metteur en scène, Julien Alluguette, que Guillaume Bouchède obtient le Molière du comédien dans un spectacle de théâtre privé. Chef de file de la troupe des Marchands d’étoiles, il grille la priorité à Clovis Cornillac (Dans les yeux de Monet), Amaury de Crayencour (Ring, Variations du couple), Vincent Heden (Belles de scène) et Guillaume de Tonquédec (Mon Jour de chance).
Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé : Delphine Depardieu
Seule représentante des Liaisons dangereuses à être récompensée, Delphine Depardieu obtient le Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé. Elle faisait office d’outsider face à Laure Calamy (Peau d’homme), Isabelle Carré (La Serva Amorosa) et Estelle Meyer (L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt).
Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public : Denis Lavant
« C’est un peu ce que je redoutais ». Récompensé pour son rôle dans Fin de partie, où, sous la houlette de Jacques Osinski, il incarne Clov avec maestria face à Frédéric Leidgens en imparable Hamm, Denis Lavant reçoit le Molière du comédien dans un spectacle de théâtre public. Il était opposé à Xavier Gallais (Dom Juan), Vincent Garanger (Article 353 du code pénal) et Philippe Torreton (Le Funambule).
Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public : Marina Hands
La catégorie du Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre public alignait les noms d’actrices quatre étoiles : Dominique Blanc (Contre), Isabelle Huppert (Bérénice), Dominique Reymond (L’Amante anglaise), Georgia Scalliet (Les Fausses confidences) et Marina Hands (Le Soulier de satin). Et c’est la comédienne-française qui se voit couronnée pour sa performance dans le rôle de Prouhèze.
Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé : Jean-Philippe Daguerre
Grand gagnant de cette soirée, Jean-Philippe Daguerre reçoit le Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre privé pour Du charbon dans les veines. Il se disputait la précieuse statuette avec Léna Bréban (Peau d’homme), Arnaud Denis (Les Liaisons dangereuses) et Géraldine Martineau (L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt).
Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public : Éric Ruf
La Comédie-Française avait une chance sur deux d’obtenir le Molière de la mise en scène dans un spectacle de théâtre public, et c’est finalement Éric Ruf qui a remporté la statuette de cette catégorie très disputée pour son adaptation du Soulier de Satin de Paul Claudel, devant sa co-religionnaire Marina Hands (Six personnages en quête d’auteur), Caroline Guiela Nguyen (Lacrima) et Alain Françon (Les Fausses confidences).
Molière de la révélation féminine : Juliette Behar
Suzanne de Baecque, remarquable dans La Seconde surprise de l’amour d’Alain Françon et dans son spectacle Tenir debout, pour lequel elle était nommée, aurait, à notre sens, amplement mérité de recevoir le Molière de la révélation féminine, mais c’est Juliette Behar qui se voit récompensée pour son rôle dans Du charbon dans les veines de Jean-Philippe Daguerre. Elle était également opposée à Juliette Damy (The Loop) et Édith Proust de la Comédie-Française (Le Soulier de satin).
Molière de la révélation masculine : Vassili Schneider
Ému aux larmes, Vassili Schneider reçoit le Molière de la révélation masculine pour son beau rôle dans La première fois que tu mordras la poussière, mis en scène par Paul Pascot d’après le texte de son frère Panayotis. Nommés pour leurs rôles respectifs dans Numéro deux, L’Avare version Clément Poirée et Les Forces vives de Camille Dagen et Emma Depoid, le nouvel artiste auxiliaire de la Comédie-Française, Axel Auriant, Pascal Cesari et Romain Gy repartent déçus.
Molière du comédien dans un second rôle : Laurent Stocker
Absent pour cause de « garde » salle Richelieu, Laurent Stocker s’est vu remettre le Molière du comédien dans un second rôle par l’intermédiaire d’Éric Ruf pour sa performance dans Le Soulier de satin, où il enchaîne les rôles de Don Balthazar, l’Archéologue, Almagro et le Second Roi d’Espagne. Il faisait face à Nicolas Martinez, Régis Vallée et Vincent Winterhalter nommés pour leurs présences respectives dans Les Marchands d’étoiles, Peau d’homme et le Dom Juan de Macha Makeïeff.
Molière de la comédienne dans un second rôle : Raphaëlle Cambray
Source d’inspiration de l’auteur et metteur en scène Jean-Philippe Daguerre qui s’est emparée de son histoire pour écrire et créer Du charbon dans les veines, Raphaëlle Cambray reçoit le Molière de la comédienne dans un second rôle. Elle concourrait au côté de Rosa-Victoire Boutterin (Grand-Peur et misère du IIIe Reich), Yasmina Remil (Les Fausses confidences) et Salomé Villiers (Les Liaisons dangereuses).
Molière de la comédie : The Loop
Nommé en 2023 pour son précédent spectacle, No Limit, Robin Goupil s’était incliné face à Une idée géniale de Sébastien Castro. Cette fois, il remporte la mise grâce à The Loop, donnée aux Béliers Parisiens. Cette comédie « enfermée dans une boucle temporelle » était opposée à Je m’appelle Georges… et vous ?, Mon Jour de chance et La Valse des pingouins.
Molière de la création visuelle et sonore : Le Soulier de Satin
Lors d’une remise de prix qui symbolisait, à elle seule, la mainmise de la Comédie-Française sur cette cérémonie, c’est Serge Bagdassarian qui a remis le Molière de la création visuelle et sonore à Éric Ruf, Christian Lacroix et Bertrand Couderc pour Le Soulier de satin (dans lequel le comédien joue). C’est l’élégance traditionnelle que l’Académie récompense ainsi en préférant le cocon scénique de ce marathon théâtral à l’audace scénographique de La Haine, mais aussi aux Soeurs Hilton de Valérie Lesort et Christian Hecq et à ADN mis en scène par Sébastien Azzopardi.
Molière du spectacle musical : Les Misérables
Régulièrement mise en avant durant la soirée, la troupe des Misérables est récompensée par le Molière du spectacle musical. Cette grosse production, donnée au Théâtre du Châtelet et mise en scène par Ladislas Chollat, permet à la pièce d’Alain Boublil et Claude-Michel Schöneberg de faire son grand retour en France. Elle faisait face à un trio de pièces aux moyens plus modestes : Orgueil et préjugés… ou presque de Johanna Boyé, Punk.e.s de Justine Heynemann et La Vie en vrai (avec Anne Sylvestre) de Marie Fortuit.
Molière de l’humour : Paul Mirabel
Très disputée, la catégorie du Molière de l’humour comptait quatre stars du stand-up sur les rangs : Bérengère Krief (Sexe), Nora Hamzawi (Nora Hamzawi), Waly Dia (Une heure à tuer) et Paul Mirabel (Par amour). Et c’est ce dernier qui a remporté la précieuse statuette.
Molière du jeune public : Ulysse, l’Odyssée musicale
Seule production du théâtre privé à être nommée dans la catégorie Molière du jeune public, Ulysse, l’Odyssée musicale a obtenu les faveurs de l’Académie devant ses remarquables concurrents venus du théâtre public : Sans famille à la mode Léna Bréban, Gretel, Hansel et les autres revus et corrigés par Igor Mendjisky et Cartoon – n’oubliez pas ça chez vous ! mis en scène par la future patronne du TNG, Odile Grosset Grange.
Molière du seul·e en scène : Pauline et Carton
Pour le Molière du seul·e en scène, l’Académie a opté pour la sagesse et la continuité en récompensant Christine Murillo pour sa performance dans Pauline et Carton. La comédienne aux 73 printemps obtient son cinquième Molière, et double Nicolas Bouchaud (La Loi du marcheur), Anna Fournier et Candice Bouchet (en alternance dans Guten tag, Madame Merkel) et surtout Estelle Meyer, remarquable dans son solo à succès, Niquer la fatalité.
Molière de l’auteur·trice francophone vivant·e : Jean-Philippe Daguerre
L’Académie des Molières aurait pu faire preuve de panache en remettant le Molière de l’auteur·trice francophone vivant·e à Caroline Guiela Nguyen pour son magnifique Lacrima ou à Mohamed El Khatib pour son sublime La Vie secrète des vieux. Sans surprise, pourrait-on oser, c’est, encore une fois, à Jean-Philippe Daguerre que revient le prix pour Du charbon dans les veines. Simon Abkarian (Hélène après la chute), Léonore Confino (Ring, Variations du couple) et Anthony Michineau (Les Marchands d’étoiles) complétaient la liste des nommés dans cette catégorie.
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