“L'homme est moins lui-même quand il est sincère,
donnez-lui un masque et il dira la vérité”.
La citation d’Oscar Wilde prend tout son sens à la sortie du 4ème album de SLEEP TOKEN "Even in Arcadia" ce 9 mai 2025. Un album des plus scrutés par la sphère metal, mais aussi surtout par l’importante communauté de fans du groupe.
Et dès la première écoute de l’album, la citation "Behold, a divide" - mentionnée sur les emails de promotion avant la parution de l’album reçus par les abonnés à la newsletter - nous revient en tête. Cet album ne s’adresse pas aux fans de musique extrême, mais aux fans de SLEEP TOKEN. L’album divise, et cette réaction était attendue par le groupe, c’est indéniable, manifestant l’importance qu’il accorde à faire ce qui musicalement le fait vibrer.
C’est pourquoi, dès l’ouverture, “Look to Windward” montre l’intention du groupe de laisser libre cours à sa créativité, son envie d’explorer et de fusionner tous les styles, réaffirmant ici encore la difficulté de réduire sa musique à un seul courant.
Le titre, riche en inspirations et temps forts nous marque très vite par la phrase "Will you halt this eclipse in me", répétée tel un mantra, qui reste résonner dans notre esprit.
Cette chanson est une manifestation d’intention claire :
“You know I live by the feather And die by the sword And I will sunder the earth only to burn the reward”
Le ton est donné, les screams déchirants de Vessel, la puissance du titre allant crescendo, nous happent avec une vitesse désarmante. Le titre "Dangerous", qui évoque musicalement “Vore" (sur “Take Me Back To Eden”), reprend la phrase "Won't you show me how to dance forever ?" en écho au site web qui avait été lancé.
L’autre évocation qui secoue la fanbase, vient des premières secondes de "Even In Arcadia", le titre éponyme. Dès les premières notes cristallines, la sensation agréablement familière qui nous traverse est une expérience à elle seule. Ces notes, nous les connaissons sur les Reels parus sur les réseaux sociaux à l’annonce des titres "Emergence", "Caramel", "Damocles" ainsi que de l’annonce de l’album, associées dans notre esprit au mot "PREPARE" et au gracieux flamant noir que les fans ont nommé "Jericho Vesselonius Token" (ou affectueusement “Jerry”).
Le titre, cité dans les paroles “Even in Arcadia, you walk beside me still”, est une référence. L'Arcadie est un symbole mythologique, pré religieux, d'un lieu idyllique. Issue de la mythologie grecque, elle était le domaine de Pan, un royaume de nature intacte et de vie simple, préservé de la corruption sociale. Plus tard, à la Renaissance, ce symbole a évolué vers un âge d'or idéalisé, plus proche du concept biblique d'Eden, mais mettant davantage l'accent sur l'harmonie avec la nature et le rejet de la civilisation, avec ses défauts et ses difficultés. C'est ainsi que l'expression "Et in Arcadia ego" - "Même en Arcadie je suis" - apparaît d'abord comme le nom du tableau du Guerchin, puis comme celui du diptyque "Les Bergers d'Arcadie" de Nicolas Poussin. Dans l'expression "Je", il sous-entend la Mort elle-même, signifiant "même dans le meilleur endroit du monde, la Mort existe toujours, même la vie la plus heureuse finira un jour".
Si le groupe explore depuis ses débuts un étrange équilibre entre le Divin et l’Humain, la sensualité a toujours été inhérente au groupe. Qu’elle soit au sein de son jeu de scène, presque érotique, ou dans les paroles des titres, elle se retrouve savamment distillée dans les paroles de "Provider". La chanson explore l’obsession, l'intimité et la frontière floue entre dépendance physique et émotionnelle. L’imagination est stimulée par des paroles telles que "your outer shell, your secret insider" et "your fingers, foxtrot on my skin" et un danger sous-jacent se dessine sous la surface, suggéré par des vers sur l'hésitation et les métaphores émotionnelles de l'unité de soins intensifs, suggérant une relation aussi enivrante qu'instable.
Un coup de maître, assurément, montrant que le groupe joue sur les thèmes avec autant d’élégance et d’aisance que sur les univers musicaux, sachant alterner légèreté et intensité d’une manière diabolique. Mais l’humain et sa vulnérabilité sont un point central de l’album, tant musicalement que contextuellement. Avant la sortie de l’album, le single "Caramel" avait fait couler beaucoup d’encre, tant le message délivré par le groupe était impactant. En effet, adressant dans les paroles la toxicité de la fanbase et les répercussions sur le groupe dirigé par Vessel, le ton était donné et l’on sortait de l’univers SLEEP TOKEN construit autour de la vénération d’une déesse ancienne, Sleep, pour se tourner directement vers le public. Cette confession, criante de frustration et de souffrance a été un véritable séisme au sein de la communauté, exposant une nouvelle fois les dérives crées par l’anonymat, le doxxing subi par l’un des membres (doxxing : acte de révéler des informations qui permettent d'identifier quelqu'un en ligne, comme le véritable nom, l'adresse, le lieu de travail, le numéro de téléphone, des informations financières ou personnelles – ndlr). Il était donc dès lors pertinent de se demander si l’album serait sur le même ton, et à l’analyse des paroles de chaque titre, "Infinite Baths" fait l’effet d’un baume apaisant sur nos âmes tourmentées.
Dans la continuité de "Caramel", le titre est l’affirmation même que le groupe est là, malgré la pression endurée :
"Well, I have fought so long to be here I am never going back"
Tandis que le mantra du premier titre “Will you halt this eclipse in me” qui apporte une merveilleuse cohérence à l’album, dont l’intention de rester résonne du premier au dernier morceau de l’album, cloture cet opus avec délicatesse, avec une une belle référence au Comics "Teeth Of God" paru chez Sumerian Comics et sold out depuis le premier jour : “Teeth of God Blood of man I will be What I am”.
Cet album, cryptique, mystérieux, fait une offrande réelle à sa communauté, délivrant bien plus qu’une œuvre aboutie musicalement à la production sans défaut, en mettant l’âme du groupe à nu, exposant sa vulnérabilité, en flirtant avec nous, nous captivant d’une manière presque surnaturelle, nous faisant nous-même devenir les idolâtres du groupe.
Que vous soyez des fidèles du groupe, ou des personnes curieuses, cet album doit être savouré, vénéré, tel que le groupe le suggère.
Worship.