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Reçu aujourd’hui — 14 mai 2025

« Peter Grimes », l’amour amer

14 mai 2025 à 06:00

Photo Agathe Poupeney

L’Opéra de Lyon programme l’œuvre de Benjamin Britten dans une production d’une belle puissance musicale et théâtrale avec le ténor Sean Panikkar, secouant dans le rôle-titre, entre désir et destruction.

La scène complètement nue penche dangereusement et évoque la sécheresse d’une falaise comme la blancheur de l’écume. Pour autant, à l’inverse de la très belle version de Peter Grimes signée par Deborah Warner et donnée dernièrement à Paris, la mise en scène proposée par Christof Loy à Lyon ne supporte aucun figuralisme. Si son geste minimaliste se garde bien d’illustrer les bateaux, cabanes en bois ou pubs bondés propres à l’univers marin offert pour cadre à l’action, et abondamment audibles dans les harmonies imitatives du flot musical composé par Britten, son dépouillement se révèle particulièrement propice à l’exposition frontale et sans concession du déchaînement de passions à la fois contrariées et hypertrophiées des personnages. Impressionnante d’intensité, la relecture proposée n’atténue pas la tempête qui fait rage dans le petit village de pêcheurs, mais la déplace vers un espace mental, intérieur, comme en témoigne l’agitation d’un Peter Grimes intranquille et tourmenté.

Le spectacle créé en 2015 à Vienne expose sans fard toutes les ambiguïtés et la complexité du héros éponyme comme du drame dans lequel il s’engouffre. Le propos qu’il défend est inspiré de la biographie de Britten lui-même, qui entretient jusqu’à la fin de sa vie une relation de couple avec le ténor Peter Pears, d’ailleurs créateur du personnage de Peter Grimes. Il place justement au centre des enjeux le tabou de l’homosexualité – un thème récurrent chez le compositeur de Billy Budd ou de Mort à Venise. Plusieurs scènes clés de l’ouvrage baignent dans un homoérotisme bien patent. La représentation laisse par exemple aisément deviner que le fidèle Balstrode est, ou a été, l’amant de Grimes. Plus encore, elle fait le choix de distribuer le rôle muet de l’apprenti non pas à un jeune enfant, mais plutôt à un bel homme à l’allure d’éphèbe, aussi bien courtisé que brutalisé par Grimes, véritablement attiré par le corps masculin tout en se gargarisant des sévices qu’il lui inflige.

L’exclusion et la vindicte subies par le héros de Britten prennent alors un tout autre sens. Sa mise au ban d’une société étroite et étriquée s’explique ici par sa différence non acceptée. Pour souligner la violence gratuite et haineuse d’un tel fait, Christof Loy met en branle une foule aux mouvements parfaitement réglés. Le choix d’un interprète aussi intense que Sean Panikkar pour endosser un Peter Grimes à la fois rude et brisé est aussi signifiant. Ardente présence scénique, voix puissante, mais aussi dotée d’une infinie douceur, le ténor américain d’origine sri-lankaise joue un homme vulnérable et traqué par toute une communauté soupçonneuse aux réflexes xénophobes et homophobes. La pauvreté sociale du groupe est alors moins exploitée que sa déliquescence morale dont se distingue la droite et digne Ellen, campée de façon vibrante par Sinéad Campbell-Wallace.

Cette excellente distribution comprend des solistes et des chœurs dont les moyens vocaux sont colossaux. Le jeu très engagé permet de donner aux nombreux rôles un fort beau relief. Sous la direction du chef Wayne Marshall, la partition bouillonnante de Benjamin Britten se fait aussi douce que sauvage. Sa palette richement colorée et ses traits expressifs cinglants sont restitués par l’orchestre de sorte à faire entendre l’exaltante force hypnotique, comme les accents rageurs, grotesques ou macabres, d’une pièce bouleversante de beauté et de modernité.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Peter Grimes
de Benjamin Britten
Livret Montagu Slater, d’après un poème de George Crabbe
Direction musicale Wayne Marshall
Mise en scène Christof Loy
Avec Sean Panikkar, Sinéad Campbell-Wallace, Andrew Foster Williams, Carol Garcia, Katarina Dalayman, Thomas Faulkner, Alexander de Jong, Filipp Varik, Eva Langeland Gjerde, Giulia Scopelliti, Lukas Jakobski, Yannick Bosc, Erik Årman
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
Scénographie Johannes Leiacker
Costumes Judith Weihrauch
Lumières Bernd Purkrabek
Chorégraphie Thomas Wilhelm
Collaborateur artistique Georg Zlabinger
Chef des Chœurs Benedict Kearns

Production Theater an der Wien

Durée : 3h (entracte compris)

Opéra national de Lyon
du 9 au 21 mai 2025

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