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Séville à l’épreuve du tourisme de masse

Face à la saturation du centre historique, la Ville de Séville tente d’attirer les touristes vers de nouveaux lieux. Joan Oger/Unsplash, CC BY

En Espagne, entre 2022 et 2024, le nombre de touristes étrangers a fait un bond de 31 %. Du côté de l’Andalousie, région chérie des visiteurs, c’est la surchauffe : à Grenade, à Malaga ou à Séville, les centre historiques se transforment, et les habitants peinent à se loger.


Depuis quelques semaines, les médias saluent la croissance espagnole : un PIB en hausse de 3,2 %, soit quatre fois plus que la moyenne européenne. The Guardian a même qualifié le gouvernement de Pedro Sánchez (PSOE) de « phare progressiste en ces temps obscurs », dans un éditorial mettant en avant les politiques d’immigration, la baisse de l’inflation, le développement des investissements et des infrastructures publiques, les efforts pour la transition écologique et, bien sûr, le tourisme. En 2024, 94 millions de touristes étrangers ont dépensé 126 milliards d’euros, pour une activité représentant 12 % du PIB du pays. Mais le journal britannique mettait aussi en garde contre les effets négatifs de cette industrie.

Depuis le boom touristique des années 1950-1960, les médias relaient régulièrement les chiffres spectaculaires liés à l’activité. Aujourd’hui, chacune des 17 communautés autonomes espagnoles publie ses propres statistiques, qui sont à manier toutefois avec précaution.

Ainsi, les méthodes de calcul varient, ne prenant pas toujours en compte les locations d’appartements touristiques de type Airbnb, comme à Séville où les proportions en résultent faussées : sur les 5 millions de touristes pour 2024, les Américains seraient les plus nombreux (290 000), suivis des Français (264 000), des Italiens (250 000) et des Britanniques (210 000). Ce manque de transparence concernant les appartements touristiques est d’ailleurs une des préoccupations de l’Union européenne, qui cherche à mieux comprendre et encadrer les dynamiques de ce marché.

Mais, quelle que soit la façon dont on les compte, les touristes sont bien là, et les dérives d’un tourisme de masse, déjà pointées du doigt par les habitants réunis en collectifs avant la pandémie, sont au cœur des préoccupations. Car, si les autorités et les médias présentent souvent l’activité comme source de travail et de revenus, les conséquences sur la vie locale sont bien réelles.


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Séville, eldorado touristique

Le cas de Séville en Andalousie est particulièrement intéressant. Centre culturel et économique à l’époque musulmane, elle devient une ville riche et cosmopolite entre le XVIe et le XVIIIe siècles, car elle est, jusqu’en 1717, le seul port autorisé à recevoir les marchandises venant des colonies américaines. Un siècle plus tard, ce sont les voyageurs romantiques qui la mettent à l’honneur et en font le but de leur itinéraire espagnol : dans cette Andalousie perçue comme un Orient domestiqué, Séville séduit particulièrement, d’autant plus qu’elle est accessible en train.

La ville devient touristique et son image se façonne selon un dialogue asymétrique. D’une part, depuis l’étranger, des produits culturels mettent la ville à l’honneur, pouvant constituer une sorte de publicité passive – pensons à la cigarière Carmen, à ses multiples adaptations sur scène ou à l’écran. D’autre part, les institutions touristiques locales adaptent leur offre aux attentes des voyageurs.

Dès les années 1920, des aménagements urbains et des événements ont structuré l’activité touristique de Séville : le quartier de Santa Cruz a été rendu plus pittoresque, l’enceinte de l’exposition ibéro-américaine célébrée en 1929 est une visite incontournable. Plus tard, l’Expo 92 a accueilli 40 millions de visiteurs et a permis à la ville d’améliorer ses infrastructures.

Tous les espoirs étaient tournés vers l’après-Expo 92, avec l’idée de faire de la ville une mégalopole, mais les festivités avaient coûté trop cher, et les mauvaises herbes ont fini par envahir l’enceinte de l’exposition. Cela étant, forte de son aéroport agrandi et de sa gare flambant neuve, Séville a continué à attirer des voyageurs, embrassant cette industrie jusqu’à l’étouffement.

Diversifier les parcours et les expériences

La ville connaît un tourisme de masse, avec des visiteurs qui restent en moyenne entre deux et trois nuits et qui se pressent dans le centre historique. Face à la saturation, la mairie a tenté de placer sur la carte de nouveaux repères : l’imposante structure en bois (Metropol Parasol-Las Setas) et la tour Pelli haute de 40 étages – qui a failli coûter à la ville son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en raison de sa hauteur impactant le skyline sévillan. Ces deux constructions modernes, œuvres de deux « starchitectes », initialement controversées pour leur esthétique et leur coût, se sont finalement intégrées à la ville.

Il a également été question de rendre touristique des quartiers auparavant délaissés par les visiteurs : Triana, ancien quartier gitan, a vu s’ouvrir le Centro Cerámica en 2014 ; le Castillo San Jorge, ancien siège de l’Inquisition, et ses marchés alimentaires se rapprochent des Food hall prisés des touristes. Même chose pour la Macarena, avec la création du musée de la basilique, l’exhumation de la dépouille du général franquiste Queipo de Llano, ou encore la rénovation de l’église baroque San Luis des Français. La mairie a également annoncé que les quartiers de Nervión, la Cartuja et Santa Justa devraient apparaître sur les futurs plans distribués aux touristes.

Une autre stratégie consiste à capitaliser sur les films et séries tournés dans la ville. Les « films commissions » encouragent les tournages en insistant sur la logique du win-win (gagnant-gagnant) qu’ils entraînent : il y a des avantages fiscaux pour les productions, des retombées économiques locales au moment du tournage et une affluence touristique une fois l’œuvre diffusée. Lawrence d’Arabie, Star Wars, Game of Thrones, sont autant de références mises en valeur dans des circuits touristiques, et ce sera bientôt le cas des séries Berlin (spin-off de La Casa de Papel) et Sherlock Holmes (Amazon).

Il peut aussi être question de varier les expériences et de s’adresser à plusieurs publics en développant la promotion d’événements sportifs ou de festivals, en célébrant des anniversaires (celui, en 2018, de la naissance du peintre du XVIIe siècle Bartolomé Esteban Murillo ; celui, en 2025, de la création de Carmen par Bizet), en se positionnant comme une destination idéale pour le tourisme de congrès, en encourageant les voyageurs à venir en été avec la campagne Passion for Summer) (qui ne mentionnait pas les 40 °C de moyenne de juin à septembre), ou encore en ouvrant de nouvelles lignes aériennes, récemment vers la Turquie et le Maroc.

Une ville devenue inhabitable

Mais, comme on dit en espagnol « Una de cal y otra de arena » (« On souffle le chaud et le froid ») : tout semble être mis en œuvre pour attirer toujours plus de touristes, au moyen d’un double discours qui, finalement, fait fi des conséquences néfastes de l’activité sur les habitants. L’un des principaux problèmes à trait au logement saisonnier qui s’est professionnalisé, modifiant les quartiers et rendant difficile l’accès à la location pour les habitants. Le premier décret de la Junta de Andalucía – au niveau régional – date de 2016 et visait à réguler la remise des licences aux propriétaires.

Collectif Cactus Séville
Affiche du collectif citoyen Cactus : #Séville-n’est-pas-à-vendre. Collectif Cactus, CC BY-NC

En 2018, le mouvement populaire Colectivo Asamblea Contra la Turistización de Sevilla, dit Cactus, a commencé à hausser le ton, tandis qu’Antonio Muñoz, conseiller municipal PSOE chargé de l’habitat urbain, la culture et le tourisme, faisait campagne contre les appartements illégaux, tout en rassurant les habitants : Séville n’est pas au niveau de Barcelone. Après la parenthèse imposée par le Covid, les discussions entre la Région et la Ville ont repris de plus belle, sans pour autant réussir à agir de concert, tandis qu’un autre collectif d’habitants, Sevilla se muere, voyait le jour.

En juin 2023, tandis que la Junta autorisait les mairies à limiter les appartements touristiques, celle de Séville (tenue par le parti conservateur Partido Popular, PP) ne parvenait pas à rédiger un texte. Pendant ce temps, la Junta continuait de distribuer des licences (environ 25 par jour, en juillet 2024).

En mars 2024, le PP a proposé de limiter à 10 % la part de logements touristiques par quartier. Le PSOE, initialement d’accord, a demandé un moratoire et a proposé de baisser le seuil à 2,5 % : accepter les 10 %, c’était ouvrir la porte à 23 000 appartements touristiques en plus des 9 500 existants. Finalement, le décret du PP a été adopté en octobre 2024, avec le soutien de l’extrême droite Vox.

Mais les problèmes persistent : les décrets ne sont jamais rétroactifs, et dans les quartiers du centre, le mal est fait – environ 18 % d’appartements touristiques dans le centre monumental –, et d’autres problèmes s’ajoutent : uniformisation des commerces, perte d’authenticité, saturation et privatisation de l’espace public avec, notamment, l’invasion des terrasses et l'augmentation du nombre de bars, un phénomène connu sous le nom de « baretización ».

Séville, comme d’autres villes à forte attractivité touristique, oscille entre mise en valeur de son identité et mise en marché de celle-ci. La question n’est plus de savoir si le tourisme est bénéfique, mais à quelles conditions il peut être viable – pour les visiteurs, pour les habitants et pour la ville elle-même.

Le parcours touristique classique en Andalousie comprend la ville de Grenade, où les populations locales souffrent également des méfaits d'un excès de visiteurs (vous pouvez activer la traduction des sous-titres).
The Conversation

Ivanne Galant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Découvrez les chiffres clés de la FEDELIMA

Dans un contexte national où les enjeux de financement public de la culture suscitent de vives inquiétudes, la FEDELIMA observe une multiplication de signaux particulièrement préoccupants pour le secteur culturel, et plus largement pour l'ensemble du secteur associatif. Le désengagement, déjà effectif ou annoncé, de certaines collectivités territoriales fragilise directement les structures à but non lucratif, investies dans des missions d'intérêt général. Ces structures, au cœur du tissu associatif, jouent pourtant un rôle fondamental dans la vitalité artistique, la diversité culturelle et la cohésion sociale des territoires dans lesquels elles sont implantées.

C'est dans ce cadre que la FEDELIMA publie les « chiffres clés – données 2023 » de ses adhérents, afin de documenter objectivement la réalité de leur activité et de nourrir le débat public sur les conditions de reconnaissance et de soutien au secteur des musiques actuelles. Ce document, fruit d'un travail de plusieurs mois, regroupe une sélection d'indicateurs et de graphiques produits sur la base de l'alimentation d'informations d'activité 2023 sur la plateforme GIMIC dans le cadre de l'Observation Participative et Partagée de la FEDELIMA (OPP) menée en partenariat avec le ministère de la Culture - DCGA.

Ce panorama vous propose une meilleure lecture de l'ensemble des projets et lieux qui composent notre fédération et vient alimenter la plupart des chantiers et travaux menés par la FEDELIMA (études, enquêtes, groupes de travail, accompagnement des adhérents, etc.).

Pour poursuivre cette dynamique, et afin d'affiner la lecture de ces chiffres, nous vous communiquerons très prochainement un second document croisant une sélection d'indicateurs d'activité 2023 par catégories et typologies de structures.

Le Bureau Exécutif et l'équipe permanente tiennent à remercier l'ensemble des adhérents pour l'engagement sur ce chantier annuel permettant d'alimenter ce « pot commun » de connaissances et d'informations précieuses pour la FEDELIMA et ses partenaires. Nous tenons également à remercier tout particulièrement les membres du groupe de travail OPP pour leur investissement et leurs conseils éclairés qui permettent chaque année d'améliorer les différents questionnaires.

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#CultureEtRuralité - découvrez le musée Courbet à Ornans

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🎬 Épisode 3 : découvrez les richesses du musée Courbet à Ornans dans le Doubs dans la région Bourgogne-Franche-Comté avec son directeur Benjamin Foudral et la maire d'Ornans, Isabelle Guillame.

Cette série de vidéos met en avant celles et ceux qui font vivre la culture dans nos territoires : des initiatives locales aux dispositifs existants, en passant par des projets ambitieux qui rapprochent les publics.

🤝 Une culture dynamique, accessible et engagée, qui se partage et se réinvente chaque jour.

#CultureEtRuralité - L'énergie culturelle des territoires
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N° 1289 - Proposition de loi de M. Corentin Le Fur visant à exonérer de la redevance au profit de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, les titres diffusés à l'occasion de cérémonies d'obsèques

N° 1289 - Proposition de loi de M. Corentin Le Fur visant à exonérer de la redevance au profit de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, les titres diffusés à l'occasion de cérémonies d'obsèques
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N° 1294 - Proposition de loi de M. Aymeric Caron visant reconnaître le droit à l'objection de conscience à l'expérimentation animale pour les étudiants et à encourager la réduction du nombre d'animaux utilisés dans la recherche et l'enseignement

N° 1294 - Proposition de loi de M. Aymeric Caron visant reconnaître le droit à l'objection de conscience à l'expérimentation animale pour les étudiants et à encourager la réduction du nombre d'animaux utilisés dans la recherche et l'enseignement
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La mort du décorateur et costumier Jean-Pierre Vergier

Jean-Pierre Vergier

Photo Raoul Lemercier

Le décorateur et costumier Jean-Pierre Vergier est décédé, a fait savoir la direction du TNP de Villeurbanne. Compagnon de route de Georges Lavaudant, il était encore à ses côtés cette saison pour la création du Misanthrope.

La carrière de Jean-Pierre Vergier débute en 1973 en compagnie de Georges Lavaudant, avec lequel il poursuit sa collaboration pour les décors et les costumes au fil des années. Il travaille également avec Daniel Mesguich, Bruno Bayen, Jean-Luc Lagarce et Ariel Garcia-Valdès, mais aussi en Espagne avec Chico Maso, Miguel Narros, Joan Anton Sanchez et Ramon Simo.

Il était également illustrateur et peintre. « Le dessin et l’illustration ont toujours accompagné les voyages de la vie et du travail. C’est après ma découverte de l’Afrique et le choc qui en a suivi que l’envie de rentrer dans les espaces de peinture est apparue. Le début de cette création s’est faite en 2015, et a été pour moi une espèce de Quinta del Sordo, alimentant ce désir de peindre », expliquait-il.

L’historienne et chercheuse Laure-Emmanuelle Pradelle, qui lui a consacré l’ouvrage Le théâtre de Georges Lavaudant. Les territoires de l’imaginaire aux éditions Septentrion, dit de lui sur le site du TNP qu’il était « un concepteur d’images, avec une sensibilité picturale singulière, un sens du cadre, des proportions et de leurs effets. Il aimait travailler l’art du faux, les patines, les cyclos peints, avec le souci du détail d’un accessoire, des couleurs, des formes. Ses décors étaient habités, ils portaient en eux des traces de vie. Les costumes, aussi simples qu’extravagants, avec élégance toujours, permettaient toutes les folies, l’humour et la poésie. Il aimait la construction des décors, la confection des costumes. Il aimait les matières, le savoir-faire de ces métiers du théâtre, ceux des ateliers et de la coulisse. Il aimait les gens qui y travaillaient. C’était un artisan, homme de convictions, simple et discret ».

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[17 April 2025] (furialog)

The only excuse for not rejecting the Trump adminstration is that you don't believe they will come for you. And while it's true that they might not, they definitely would.  

But, worse, the only excuse for supporting the Trump administration, as modeled relentlessly by its membership from top to bottom, is that you believe your identity is based on the entirely insane conviction that they wouldn't send you to a Salvadorean torture prison, and even that delusion gives you no jolt of imaginary self-esteem unless they are actively sending other equally-vulnerable people to Salvadorean torture prisons.
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