« Heureux qui comme Ulysse » : l'Odyssée en chansons.
A l'issue de la guerre de Troie, une fois la ville ravagée, ses habitants massacrés, le Grec Ulysse prend la mer pour rejoindre l'île d'Ithaque dont il est le roi. Sa femme, Pénélope, patiente et fidèle, l'y attend depuis déjà dix ans.
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John William Waterhouse, Public domain, via Wikimedia Commons |
Accompagné de ses compagnons, Ulysse prend la mer. Grisé par la victoire, mais écœuré par les flots de sang déversé, le héros semble avoir perdu la foi. Ce soupçon d'athéisme provoque la fureur de Zeus qui entend le châtier, et la haine de Poséidon qui cherche à le tuer. Dès lors, captif de la vaste mer, Ulysse est confronté à toute une série d'embûches sur la route du retour vers Ithaque. Il échoue chez les Cicones, les Lotophages, les Cyclopes, les Cimériens, les Phéaciens, rencontre Circé, Calypso, échappe aux sirènes, à Charybde et Scylla, avant de toucher au pays natal.
La culture populaire n'a eu de cesse de se référer à l'œuvre d'Homère. La chanson ne déroge pas à la règle. (1) Certains épisodes de l'Odyssée suscitent particulièrement l'intérêt. C'est le cas des sirènes, ces créatures mi femmes mi rapaces, dont le chant envoûtant provoque les naufrages. Ulysse parvient à leur échapper en prenant ses précautions. Attaché au mât de son embarcation, il a demandé à ses marins de boucher leurs oreilles grâce à de la cire. Tout aussi fasciné que le héros grec, les membres de l'Affaire Louis Trio cherchent à rencontrer les sirènes dans Mobilis in mobile. « J’irai voir tôt ou tard/ Si les sirènes existent/ Sur le dos des baleines / Je suivrai leur piste / Car nul ne résiste / Au charme doux / De leur chant d’amour »
Orelsan invite à son tour à se méfier des sirènes, ici identifiées aux mirages d'une vaine célébrité ; strass et paillettes ne constituant qu'un leurre. « J'entends les chants des sirènes / Regarde autour de moi tous ces gens qui m'aiment / J'veux toucher l'soleil avant qu'la pluie ne vienne / T'inquiète pas, seuls les faibles se font bouffer par le système. » [Le Chant des sirènes]
Ulysse aux mille tours connaît les vertus du vin. Il en use et abuse pour commettre ses ruses comme en témoigne la Petite messe solennelle de Juliette. « Né d'une âpre Syrah, d'un peu de Carignan / D'une terre solaire, des mains d'un paysan / C'est avec ce vin-là qu'on dit qu'Ulysse a mis / Le cyclope à genoux et Circé dans son lit .» Ainsi, prisonnier de Polyphème, Ulysse enivre le cyclope, pour mieux le tromper. Une fois endormi, les Grecs crèvent l'œil unique du géant. Caché sous des moutons, ils sortent de la grotte, échappent à la mort, mais pas à la haine de Poséidon, le père du cyclope.
Auparavant, Ulysse était parvenu à échapper à Circé la magicienne. Dans Le sort de Circé, la chanteuse Juliette prête sa voix à l'ensorceleuse et décrit la transformation des compagnons du héros achéen en pourceaux. Elle chante : "Mutatis mutandis / Ici je veux un groin / un jambon pour la cuisse / Et qu'il te pousse aux reins / un curieux appendice / Mutatis mutandis / Maintenant je t'impose / La couleur d'une rose / De la tête au coccyx / Mutatis mutandis".
Après moults péripéties, désormais seul, Ulysse échoue sur l'île d'Ogygie. Il est recueilli par la nymphe Calypso, qui tombe éperdument amoureuse du héros grec qu'elle couvre d'attention. Pendant sept années, ce dernier se la coule douce, mais il pense à son foyer, Ithaque, à son épouse, Pénélope, à son fils, Télémaque. Convaincu par Hermès, la nymphe laisse partir le héros. Arthur H conte ces amours torrides dans « Ulysse et Calypso ».
Intelligent, fort, éloquent, fidèle à sa patrie, Ulysse est un séducteur, mais il est orgueilleux. Sa femme, Pénélope est admirable : fidèle, intelligente, rusée. Georges Brassens, dans l'œuvre duquel abondent les références mythologiques, dépeint l'épouse fidèle sous un nouveau jour. Il avertit aussi des dangers à laisser trop longtemps seule une épouse au foyer. Sa Pénélope travaille à domicile, mais ne fait pas tapisserie. Face à l'ennui et la solitude qui l'accablent, des pensées charnelles s'immiscent dans son imagination fertile. Le poète sétois, et Barbara, sa merveilleuse interprète, s'en délectent. « Toi l'épouse modèle / Le grillon du foyer / Toi qui n'as point d'accrocs / Dans ta robe de mariée / Toi l'intraitable Pénélope. / En suivant ton petit bonhomme de bonheur (2X) / Ne berces-tu jamais en tout bien tout honneur / des jolies pensées interlopes.»
Au cours de son voyage, Ulysse se languit d'Ithaque. Cette nostalgie du pays natal inspire Heureux qui comme Ulysse à Joachim du Bellay en 1558. Le poète, qui se morfond à Rome, auprès du pape, compose un sonnet fameux en souvenir de Liré, son village angevin, dont la simplicité pittoresque lui est plus chère au cœur que les trésors de la ville éternelle. Des siècles plus tard, Georges Brassens reprend le premier vers du sonnet pour la chanson thème du film heureux qui comme Ulysse, dont le reste des paroles est du réalisateur Henri Colpi sur une musique de Georges Delerue. Le chanteur y évoque le bonheur d'être chez soi, entouré des siens, tout comme Ulysse revenu au bercail. « Heureux qui, comme Ulysse / a fait un beau voyage / Heureux qui comme Ulysse a vu cent paysages / Et puis a retrouvé / Après maintes traversées / Le pays des vertes allées »
Ridan met en musique le poème dans son morceau Ulysse. « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, où comme celui-là qui conquit la toison, / Et puis est retourné, plein d'usage et raison, / Vivre entre ses parents le reste de son âge ! /
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village / Fumer la cheminée, et en quelle saison / Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ; / Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? /
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux / Que des palais romains le front audacieux ; / Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine, /
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin ; / Plus mon petit Liré que le mont Palatin, / Et plus que l'air marin la douceur angevine. » Il y ajoute deux couplets de sa plume, dans lesquels il incite à se méfier des chemins soi-disant pavés d’or, à ne pas céder aux mirages d'eldorados trompeurs. « J'ai traversé les mers à la force de mes bras / Seul contre les dieux perdu dans les marais / Retranché dans une cale et mes vieux tympans percés / Pour ne plus jamais entendre les sirènes et leurs voix
Nos vies sont une guerre où il ne tient qu'à nous / De nous soucier de nos sorts, de trouver le bon choix, / De nous méfier de nos pas et de toute cette eau qui dort / Qui pollue nos chemins soi-disant pavés d'or »
Au début des années 1980, l'Odyssée inspire le dessin animé franco-japonais Ulysse 31. Le poème d'Homère y est transposé dans un futur de science fiction très lointain (le XXXIème siècle). Depuis la base spatiale de Troyes, Ulysse voyage à bord de l'Odysseus. Arrivé sur une planète, le héros provoque la colère des dieux en détruisant un robot satellite géant, qui n'est autre que le cyclope. La malédiction s'abat sur tout l'équipage, à l'exception d'Ulysse, de Thémis, une jeune extra-terrestre, de Télémaque et de son petit robot de compagnie : Nono. Le générique interprété par Lionel Leroy fait désormais parti de l'univers mental de tous ceux qui étaient enfants dans la décennie 1980, pour les autres il fait sans doute figure d'ovni.
Notes :
1. Dans la langue de Shakespeare également, les titres inspirés de l'Odyssée ne manquent pas. Citons, parmi beaucoup d'autres Tales of brave Ulysses de Cream, Calypso de Suzanne Vega, Ulysses par Franz Ferdinand dont Véronique Servat nous parlait ici. En 1968, sous forme d'un hommage à l'Odyssée, Tim Buckley décrivait les dégâts causés par l'amour dans une ballade intitulée Song to the siren. "Longtemps en mer, sur des océans sans navire / Pour sourire, je faisais de mon mieux / Avant que tes yeux et tes doigts ne m'attirent / Par leur chant sur ton île, amoureux / Et tu chantais / Fais voile vers moi (2X) / Laisse-moi t'envelopper / Je suis là (2X) / J'attends de t'enlacer". Le morceau sera repris de manière marquante par This Mortal Coil. Ici, la chanteuse Elizabeth Fraser personnifie la sirène, dont le chant attire marins et amoureux vers une sépulture aquatique. L'atmosphère éthérée, cotonneuse du titre correspond bien à l'univers marin du mythe homérique.
Sources :
- Homère : "Odyssée", traduction de Victor Bérard, édition de Philippe Brunet, Folio classique, Gallimard
- Louisette Garcin : "L'Odyssée : épopée du retour d'Ulysse à Ithaque"
- "Le voyage d'Ulysse et ses interprétations" [BnF - les Essentiels]