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"Larzac !" Un cri de ralliement autour d'une utopie qui vit et fait vivre toute une communauté sous des lois différentes

Il serait vain de vouloir résumer, raconter, ici, la trame et les personnages qui font vivre ce spectacle. Une page ne suffirait pas à en contenir une infime partie qui, donnée ainsi hors de son contexte, hors de sa forme, hors de l'univers et de l'histoire dont elle dépend, serait incompréhensible. Un univers parfaitement concret, historique avec un grand H même. Le Larzac. Un bout de terre au sud du Massif central, un haut-plateau peuplé seulement de paysans et d'une base militaire.
L'histoire commence bien avant nos jours, bien avant ce qui va nous être dévoilé dans le spectacle. Elle débute en 1902, lorsque l'État français crée un camp militaire dans le Larzac-nord (au sud de Millau). Elle se poursuit en 1971 lorsque l'État annonce le projet d'extension de la base militaire (une superficie multipliée par six). Six mois plus tard, 103 paysans touchés par les expulsions publient le "serment des 103". Ils y annoncent leur intention de ne pas quitter leurs terres. Un appel qui déclenchera un mouvement de désobéissance civile parmi la population française, surtout des jeunes, qui mobilisera près de 100 000 personnes durant la décennie qui suivit. Une mobilisation qui repoussera le projet jusqu'en 1981, date à laquelle François Mitterrand y mit fin.

Voici donc le contexte de "Larzac !". Un contexte qui va engendrer la création d'un collectif original, sans doute unique au monde, qui a inventé et continue d'inventer une nouvelle organisation de la vie paysanne. C'est de cela dont il est question dans le spectacle de Philippe Durand : l'histoire de ce collectif qui a arraché son existence à l'État français par une volonté farouche et déterminée de garder la main sur l'avenir et préserver un territoire.

Le premier acte fut de négocier avec l'État un bail emphytéotique avec la Société Civile des Terres du Larzac (la SCTL, détentrice du bail jusqu'en 2085). C'est sous cette forme, la SCTL, que vont être créées ces nouvelles organisations sociales, paysannes qui perdurent aujourd'hui, et même s'agrandissent et prospèrent. Philippe Durand s'est longuement rendu sur le plateau du Larzac, il y a rencontré des dizaines d'habitants qui font partie de ce projet. Certains y vivent depuis quarante ans, ils ont participé à l'invention de la SCTL et de sa philosophie communautaire. Ce sont ces personnages, tous incarnés avec une force narrative fascinante par Philippe Durand, qui vont nous ouvrir une fenêtre sur leur manière de vivre.

Oui, il y a un souffle d'utopie dans les vies de ces personnages. Un ordre différent règne. Des règles qui paraissent bizarres, étranges, presque impossibles et qui pourtant sont la source d'une réelle sécurité, d'une réelle implication dans les règles communes. Ici, personne n'est propriétaire, ni de sa maison, ni de ses terres. Pas de spéculation. Lorsque l'un d'entre eux part à la retraite, il laisse sa ferme au suivant, (sans contrepartie sinon une valeur d'usage) un suivant choisi par le conseil de gérance sur audition, car il s'agit d'un véritable choix de vie. Bref, l'organisation du territoire n'est pas juste un assemblage de règles différentes des règles usuelles dans le reste du pays, mais d'un esprit d'implication dans le travail et de partage de l'outil de travail différent.

En un peu moins d'une heure trente, Philippe Durand campe plusieurs dizaines de ces habitants des hauts-plateaux du Larzac. Des témoignages, tous, particuliers, personnels, emprunts de gouaille, d'accents forts comme ceux de l'Aveyron, de points de vue différents. Voilà la force et l'honnêteté que développe l'auteur-comédien dans cet exercice. Rien de manichéen. Son texte (édité chez Libertalia) se veut autant chair qu'esprit, il recèle un langage rugueux et poétique qui donne, avec son interprétation, une vibrante incarnation de chacun de ces personnages.

Ce que réalise là Philippe Durand est du pur miel, du souffle chaud, de l'abondance intelligente, du sensible, du vrai, et une tonne et demie de connaissances révélées à la plupart d'entre nous. On y apprend, on y goûte les accents, on y savoure les émotions sensibles, on y aime tous ces personnages qui prônent l'intelligence collective plus que l'individuelle, et cela fait du bien.

Il n'en est pas à son coup d'essai, Philippe Durand. Il y a quelques années, il avait déjà créé un spectacle à partir d'éléments recueillis dans une autre sphère de nos sociétés, l'industrie. Cela s'appelait 1336 (Parole de FRALIB). Déjà une expérience d'autogestion qui, cette fois, avait opposé les ouvriers d'une usine de fabrique de Thé Éléphant à la direction du groupe (UNILEVER), et la victoire du collectif (une reprise de l'outil de production qui continue encore sous l'excellente marque de thé et d'infusion 1336 – le nombre de jours de grèves…).
◙ Bruno Fougniès

Vu au Théâtre des Halles dans le cadre d'Avignon Off 2024.

"Larzac !"
Texte : Philippe Durand.
Mise en scène : Philippe Durand.
Interprétation : Philippe Durand.
À partir de 13 ans.
Production Cie Treize-Trente-Six.
Durée : 1 h 25.

21 et 22 mai 2025.
Mercredi et jeudi à 20 h.
Théâtre Jean Vilar, Virty-sur-Seine (94), 01 55 53 10 60.
Courriel : contact@theatrejeanvilar.com
>> theatrejeanvilar.com

Dans le cadre de "Commune Utopie" du 17 au 25 mai 2025.
Un temps fort présenté par la Constellation (Compagnie Les Filles de Simone et 5 théâtres du Val de Marne : le Théâtre Chevilly Larue, l’ECAM, le Théâtre Jean Vilar, le Centre des bords de Marne et le Théâtre Antoine Watteau).
>> Infos Commune Utopie

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•Off 2025• "T. I. N. A." Un cocktail d'humour explosif qu'on boit jusqu'à l'ivresse

Un titre énigmatique pour un spectacle hors normes construit comme un fantastique mécano où s'assemblent les éléments épars de l'humour, de la volonté de réveiller les consciences et d'un discours politique et social d'autant plus intense qu'il n'impose rien. Tout cela grâce à un subterfuge de mise en scène des plus efficaces : l'art du clown venu intercéder pour nous raconter notre histoire et nous ouvrir les yeux et le cœur, comme un émissaire lointain venu témoigner notre réalité avec une lucidité décapante.
•Off 2025•
Tout est dans l'instant suspendu où le sourire du clown se fige sous ses yeux qui vous fixent. Cet instant donne le frisson, un peu comme si le masque blanc s'effaçait d'un coup pour laisser voir un abîme périlleux. Un clown, ce n'est pas un clown fait uniquement pour le rire. Celui-ci porte tous les stigmates de la réalité sous sa face hilare et une profonde tristesse égale sa profonde lucidité lorsque son regard se porte sur les humains, et sur la vie en général.

C'est inquiétant, ce clown qui diffuse tour à tour du rire et de l'angoisse. C'est chaleureux puis tout à coup glacé. Et on voit bien que ça n'a peur de rien : ni des mots, ni des cris, ni des silences, ni des regards, il nous fixe parfois à faire peur.

Inquiétant aussi car son visage est très mal passé au blanc. Les lèvres à peine colorées. On voit très bien les traits de la comédienne Garance Legrou. Et on ne sait plus trop qui joue le personnage. Le clown blanc joue à Garance Legrou ou le contraire ?

•Off 2025•
Et puis sur le plateau, on cherche en vain son contrepoint, son acolyte, Auguste, le clown potache est naïf qui fait rire les enfants avec ses facéties de gamin. Non, il est tout seul ce clown blanc avec son habit impeccable, son pantalon bouffant, son plastron plat, sa collerette immaculée. Pas trace d'Auguste, ses habits trop grands, sa perruque multicolore, ses tatanes démesurées et son nez rouge, largement ridicule, outrancier et naïf. Naïf a un point ! Non, il n'y a que nous, public, face à ce clown blanc sympathique et inquiétant. Alors c'est nous, le public, qui sera l'Auguste du spectacle. Celui qui rit tout le temps puisqu'un rire agrandit sa bouche, celui à qui on fait croire n'importe quoi et dont on botte les fesses impunément.

Rien de méchant là-dedans. Garance Legrou nous invite juste à être du spectacle, à le faire avec elle, à participer en quelque sorte, activement, comme il serait bon de participer activement à la vie sociale et politique. Et cela commence comme cela, comme un tâtonnement, une errance vers "on ne sait quoi" et l'illusion est belle, et chaque instant se clôt et ouvre sur un autre instant, inattendu. Partie de rien, d'un plateau nu, elle nous entraîne dans une ballade au travers du monde sur un demi-siècle, le demi-siècle de sa vie, une ballade qui est plus un trekking qui traverse toute la vie sociale et politique de cette période, depuis les paysages tragi-comiques des souvenirs d'adolescence jusqu'aux vertigineuses pentes abyssales du néolinéralisme en passant par une escapade dans l'art moderne vu à travers une nappe en toile cirée et un medley hilarant de la chanson populaire.

•Off 2025•
Mais ces dizaines de zigzags entre les souvenirs, aussi drôles, décalés, déstabilisants qu'ils soient, ne sont pas uniquement rire et distraction. La puissance du propos de T.I.N.A. tient à une juste colère, une profonde quête, une véritable angoisse face à la course effrénée de nos sociétés vers cette sorte d'inhumanité. Et cette soif politique qui teinte tout le spectacle est un cri touchant, émouvant, tragique, à la hauteur que sont les modèles libres-penseurs de Garance Legrou : Pierre Desproges, Romain Gary, Gotlib, Franquin.

"T. I. N. A. (There Is No Alternative)"
•Off 2025•
Texte : Garance Legrou.
Mise en scène : Alexandre Pavlata.
Assistante à la mise en scène : Lucie Reinaudo.
Avec : Garance Legrou.
Création lumière : Fabrice Peineau.
Création costume : Agathe Laemmel.
Création sonore : Judicaël Denecé.
Production Théâtre des Béliers en accord avec la Compagnie (ETC).
Coproduction Théâtre des Bains-Douches (Le Havre).
Durée 1 h 15.
À partir de 10 ans.

•Avignon Off 2025•
Du 5 au 26 juillet 2025.
Tous les jours à 15 h 20. Relâche le mardi.
Séances supplémentaires les mercredis 9, 16 et 23 à 10 h.
Théâtre des Béliers, Salle 1, 53 rue du du Portail Magnanen, Avignon.
Réservation : 04 90 82 21 07.
contact@beeh.fr
>> theatredesbeliers.com

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