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Autosolistes ? Vous n'êtes pas seul·es, sauf...

...si vous êtes seul·e dans votre voiture !

[Cet article retrace l'historique de la démarche liée au prototype "Autosolistes", réalisé dans le cadre du workshop "Le 4e degré", organisé par ERASME, en mars 2025]

Quelques chiffres au sujet de la voiture individuelle

En France, en 2019, la part modale de l'usage de la voiture individuelle est autour de 63%.
Ce qui signifie que 2/3 des français·es se déplacent majoritairement en voiture au quotidien.

Dans le même temps :

  • 8 automobilistes sur 10 sont seul·es dans leur voiture (on les nomme “autosolistes”)
  • 8 français·es sur 10 vivent dans des unités urbaines
  • Le coût moyen d'une voiture individuelle en France est de 3763€ par an

Plus généralement, toutes mobilités confondues :

Les imaginaires liés à l'automobile font le plein de paradoxes

Entre illusion de liberté et dépendance à l'objet, nous sommes souvent coincé·es dans des représentations qui influencent profondément nos pratiques.

Il suffit de questionner nos besoins, nos choix, notre manière de nous déplacer, pour nous heurter, souvent de manière très intime, à nos modes de vie :

"Je ne peux pas faire mes courses sans ma voiture"

"Il n'y a pas d'alternatives, je suis obligé·e d'utiliser ma voiture"

“Sans ma voiture, je perds mon autonomie dans mes déplacements”

Notre rapport à la voiture peut s'apparenter à une addiction, subie ou choisie, au quotidien.
Cette addiction nous maintient souvent dans des habitudes, des rituels parfois bien ancrés.
Elle influence également les politiques publiques, de manière profonde.

“Le cercle vicieux de la dépendance automobile” - Wiki du Climat

Des externalités négatives qui sont acceptées et subies

D'un autre côté, nous acceptons ses externalités négatives, pour nous et pour les autres :

Dessin de Kirk Anderson “If these idiots would take the bus, I could be home by now” - 1995

“C'est de plus en plus compliqué de circuler, mais…”

“C'est un budget conséquent, mais…”

“C'est vrai que c'est dangereux et/ou stressant de conduire, mais…”

“Oui les voitures polluent, mais…”

“Oui les voitures prennent de la place, mais…”

Déconstruire nos imaginaires pour questionner nos pratiques

Embrace the traffic jam, Driving you into climate breakdown | Campagne AdBrake

Et si, pour tenter de sortir de notre dépendance à la voiture individuelle, on prenait du recul sur ce qui a permis de la développer ?

D'où vient-elle ? Par qui a-t-elle été démocratisée ? Comment a-t-elle façonné notre rapport à l'espace public, au voyage, à une forme de liberté individuelle ?

Une brève histoire de l'automobile (1/3) - Le génie humain - ARTE

Son évolution, la faisant passer d'un objet de luxe, réservé aux plus fortuné·es, à un produit de consommation de masse, fait d'elle un miroir de la société de consommation, une illustration parfaite d'une croissance infinie dans un monde aux ressources limitées.
L'automobile incarne une prophétie autoréalisatrice : celle d'un territoire aménagé massivement pour elle, et par elle.

Une brève histoire de l'automobile (2/3) - La société de consommation - ARTE

Critiqué depuis sa création, ce symbole du capitalisme s'appuie massivement sur la publicité pour gommer les externalités négatives et maintenir, voire renforcer notre dépendance à son usage et surtout à sa possession. En France, le prix de vente de chaque voiture neuve intègre en moyenne 1500 euros de coût publicitaire (source : https://www.cc37.org/le-chiffre-du-mois-3-milliards-vs-46-milliards/).

Certaines associations se saisissent du sujet pour alerter sur l'influence de la publicité automobile :

Identité du rapport de l'association “Résistance à l'Agression Publicitaire” : La publicité automobile à l'assaut de notre imaginaire
Photo d'un panneau pub ou on voit écrit au feutre "l'info importante de cette pub se trouve ici"... Une flèche méne vers cette phrase "Pour les trajets courts privilégiez la marche ou le vélo #SeDéplacerMoinsPolluer “ - RAP asso
Action de détournement de pub automobile : une affiche sur laquelle est écrit "une grosse bagnole... pour compenser quoi ?”
Photo d'un détournement de pub à Rennes. On y voit des activistes ouvrant un panneau de pub et mettre une affiche ou on voit un 4x4 qui écrase la planéte avec la mention "dépassez nos limites” - Photo : Ludo Brys - RAP asso

L'usage de la voiture individuelle comme une addiction

Notre parti pris est donc de considérer notre dépendance à la voiture individuelle comme une addiction, et de traiter cette dernière par la déconstruction des imaginaires et des pratiques, comme le ferait un·e addictologue pour nous aider à nous en sortir.

Des controverses pour aiguiser notre esprit critique à propos de la voiture individuelle

[Ces controverses sont volontairement critiques, voire polémiques, pour questionner nos représentations.]

Simple changement technologique ou réduction de la demande de déplacement ?

Une figure montrant quatre images identiques d'une autoroute californienne congestionnée, malgré ses 2 X 5 voies de circulation. Sur chaque image, une mention différente est écrite : “Fossil fuels cars” “E-fuel cars” “Hydrogen cars” “Electric cars”

Le modèle de développement de la voiture individuelle aborderait-il le virage d'un simple changement technologique, en passant du pétrole à l'électrique, pour continuer d'exister ?

Ou doit-il muter pour revoir à la baisse la boulimie de nos déplacements (nombre de trajets / temps / distance), exponentielle depuis seulement 4 générations ?

Approche monolithique des mobilités ou sobriété, optimisation ?
Ce modèle de développement fonce-t-il droit dans l'impasse d'une approche monolithique de nos mobilités ?
En effet, l'achat d'une voiture individuelle est souvent basé sur les critères d'usage les plus importants (ex : départ en vacances), ce qui ne correspond pas aux usages principaux du quotidien :
transporter 1,24 personne en moyenne (Source : VINCI - 2024)
sur une distance comprise entre 2 et 5km dans 70% des trajets
en déplaçant 1250 kg de véhicule
(Source : “Voitures : Fake or not” - Aurélien BIGO - Isabelle Brokman - Tana Éditions))

Cela a pour effet direct de maximiser les usages de notre voiture, afin d'en rentabiliser l'achat.
Cette approche monolithique de nos déplacements doit-elle être déconstruite pour que nos habitudes de déplacement soient plus adaptées à nos besoins, et se concentrent davantage sur l'essentiel ?

Illustration “50 people going to work” par Marie JOVENEAU

Ne faudrait-il pas prioriser la sobriété (demande de transport, report modal, remplissage optimal des véhicules), en parallèle d'améliorations techniques tournées vers l'optimisation de l'existant (réduction des consommations de carburants, changements de source d'énergie) ?

La voiture individuelle, totem d'immunité de nos modes de vie ?
Face au réchauffement climatique, sait-on combien l'usage de la voiture individuelle pèse dans notre empreinte carbone ?
Cet objet est-il vendu comme étant à la fois un facteur de réussite sociale, de liberté de mouvement, et à la fois une cause majeure d'externalités négatives (pollution atmosphérique et sonore, accidentalité, extraction de ressources, …) ?

Dessin satirique - Andy Singer
Inondations d'octobre 2024 à Valencia (Espagne) - Libération / Alberto Saiz/AP

La part modale majoritaire de son usage a-t-elle toujours existé, et est-elle intouchable ?

Illustration de Copenhagenize - copenhagenize.eu

Comment la voiture a pu prendre autant de place dans nos imaginaires, face aux alternatives, comme les transports en commun ?

Cérémonie de destruction par le feu d'une ligne de tramway aux USA, suite au rachat des régies de transport public dans une trentaine de villes américaines, par General Motors, Standard Oil et Firestone Tyres - extrait du documentaire “Une brève histoire de l'automobile” Arte - 2025

Dans les années 1930, aux États-Unis, la place de certaines alternatives à la voiture individuelle a été méthodiquement prise par les lobbies automobiles, pétroliers et pneumatiques, qui les ont volontairement décrédibilisées, marginalisées, rachetées méthodiquement démantelées, sacrifiées sur l'autel du “progrès” et de la “croissance”.
Source : Grand scandale des tramways américains

Attaché·es à notre voiture ou banal “accident” ?

Le DieselGate, ou scandale Volkswagen, dénoncé par International Council on Clean Transportation (ICCT)
Une publicité pour un SUV avec pour slogan “Il s'agit de DOMINER son habitat”

Sommes-nous attaché·es à notre voiture au point d'excuser ses fabricants, qui trichent sur les normes anti-pollution ?

Notre lien à cet objet, sa possession, est-il le résultat d'un banal “accident”, terme que certain·es journalistes emploient par automatisme pour qualifier l'insécurité provoquée par cet objet de domination, qui a expulsé les enfants de l'espace public ?

"There is to much traffic for billy to walk to school : so we drive him." Ian lockwood
Illustration tirée du livre “Roadkill bill” Ken Avidor

Une brève histoire de l'automobile (3/3) - Schizophrénie - ARTE

Adapter nos modes de déplacement dans un monde à “+ 4°C”

Lors du workshop "Le 4e degré", notre équipe a pu compter sur une masterclass d'Aurélien Bigo, chercheur spécialisé dans la transition énergétique des transports. Il est co-auteur du livre Voitures - Fake or not, qui aborde notamment sur notre dépendance à la voiture individuelle.

Des imaginaires qui se heurtent à un mur climatique, sociétal, social et de santé publique

31% : c'est la part du secteur des transports dans la répartition sectorielle des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), en 2019, en France. Cette même année, sur la totalité des émissions nationales (tous secteurs confondus), les voitures particulières ont émis à l'usage 16% de GES, soit un peu plus de la moitié du secteur du transport (hors fabrication des véhicules et des carburants).

Face à ces constats, comment agir ?

Les 5 leviers de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), présenté par Aurélien BIGO

Après cette phase d'analyse, notre équipe a décidé d'aborder le sujet en portant ses réflexions sur :
la question des représentations des modes de déplacement pour tenter de déconstruire les raisons de notre dépendance à la voiture individuelle.
les modalités qui peuvent amener les citoyen·nes à s'interroger, à échanger et à débattre sur ces représentations, dans une approche réflexive sur leurs convictions et leurs pratiques.

Un terrain d'expérimentation : les actions de l'Agence des mobilités de la Métropole de Lyon

L'équipe de l'Agence des mobilités propose un service de conseil personnalisé, d'information et d'accompagnement sur les déplacements dans la Métropole de Lyon. Avec l'aide d'Antoine Plan (conseiller mobilités), dans l'équipe d'Anne-Sophie Petitprez (responsable de l'unité Management de la Mobilité), nous avons pu observer les usages, les pratiques et les problématiques d'un service directement au contact des citoyen·nes.

Un prototype pour débattre de scénarios futuristes, mesurer sa dépendance à la voiture individuelle, et questionner ses déplacements

En trois petites semaines, notre équipe a prototypé plusieurs éléments de réponse au sujet, en proposant 3 dispositifs :

Un outil de mesure de notre dépendance
Objectif : se questionner sur nos représentations liées à la voiture individuelle en évaluant notre degré de dépendance selon 8 facteurs psychosociaux :
- l'absence d'alternatives,
- l'attachement à l'objet,
- le marqueur social de la possession de la voiture,
- le sentiment de protection/sécurité,
- la liberté de déplacement,
- l'extension de son "chez soi",
- la capacité d'emport (personnes, objets),
- le besoin de rentabiliser l'acquisition de la voiture (en multipliant les usages)

Diagnostic de dépendance à la voiture individuelle
Partage des résultats des répondants au diagnostic pendant la restitution

Cet outil prend la forme d'un formulaire en ligne, composé de 8 affirmations (correspondantes aux 8 facteurs de dépendance), et d'une version papier à compléter directement. Dans les deux cas, le résultat prend la forme d'un simple diagramme en toile d'araignée, rendant visible les raisons plus ou moins fortes de notre addiction à la voiture individuelle.

Un jeu spéculatif pour se décentrer

Objectif : questionner la diversité des modes de déplacements afin de résoudre des paradoxes dans des futurs plus ou moins désirables.

Jeu spéculatif prêt à être testé
Manipulation du dispositif selon les différents choix des joueurs orientant le scénario
Échange autour du jeu spéculatif

Ce jeu est composé de 6 scénarios fictifs et décalés dans le but de prendre du recul, aiguiser l'esprit critique et déconstruire les imaginaires avec humour et distance :
La ville sauterelle
La dictature du vélo
La régression bipédique
La sédentarité optimisée
L'apocalypse

Un kit de médiation pour faciliter le dialogue sur nos mobilités

Objectifs :
- prendre du recul sur ses usages de la voiture,
- questionner ses pratiques et ses représentations des alternatives,
- comparer les désavantages au statu quo et les avantages à diversifier ses modes de déplacement.

Quelques éléments du kit déployé sur le bureau d'un conseiller mobilités
Mise en situation d'un entretien lors de la restitution du workshop

Composé de cartes et d'objets pour ancrer et faciliter le dialogue avec les usager·ères dans le but de questionner leurs pratiques et leurs représentations des alternatives, selon 4 critères de comparaison :

  • temps de trajet,
  • coût,
  • pratique et logistique,
  • émissions de CO2.

Pour accompagner ces éléments, quelques citations tirées d'une émission d'actualité, intitulée ZFE : nouvelle bombe sociale (C ce soir - 26 mars 2025 - France 5), sont complétées d'interprétations des propos des protagonistes, mis en parallèle d'éléments factuels et chiffrés, toujours dans le but d'aiguiser l'esprit critique, et d'alimenter un débat sur nos représentations.

Extraits et interpretations à propos des ZFE

ZFE : la nouvelle bombe sociale ? en replay - C ce soir

Une première preuve de concept

Ce prototype a été présenté à 88 personnes qui ont pu tester tous les dispositifs (ex : 67 personnes ont complété le diagnostic de dépendance), lors de la restitution du 3 avril 2025.

Prochaine étape : passer du prototype à une seconde itération consolidée et adaptée à différents contextes d'usage, dans le cadre des actions de l'Agence des mobilités, mais aussi plus largement.

L'ambition du projet à terme

faire descendre la voiture individuelle à la 2e place des modes de déplacement des actif·ves dans la Métropole de Lyon, pour aller travailler, au profit des alternatives (transports en commun en tête).
faire compléter le diagnostic de dépendance à la voiture individuelle par 150 000 habitant·es et de déployer le jeu spéculatif dans 50 événements sur le territoire en 2026.

Retrouvez bientôt la documentation du prototype "Autosolistes".

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