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LANDMVRKS "The Darkest Place I've Ever Been"

En 2021, en plein cœur d’une pandémie qui n’était pas encore finie, sortait l’excellent « Lost In The Waves », le troisième album des Marseillais LANDMVRKS, qui marquait déjà une avancée majeure pour le groupe, après deux albums (« Hollow » en 2016 et « Fantasy » en 2018) de très bonne facture. L’arrivée au sein du groupe de Kévin D’Agostino au poste de batteur a en effet joué un rôle certain dans son évolution musicale. Des centaines de milliers de kilomètres plus tard, après avoir parcouru le globe en long, en large et en travers pour défendre ses créations sur les scènes internationales et acquérir ainsi une expérience ô combien précieuse, le quintet nous revient avec un album on ne peut plus attendu, le bien nommé « The Darkest Place I’ve Ever Been ». Et Grands Dieux, quel bond de géant !

Une monumentale claque vous attend. Croyez-moi, vous n’êtes pas prêts. Parce que sa créativité n’a pas de frontière, LANDMVRKS ne peut plus être simplement catalogué dans le style metalcore, ce serait bien trop réducteur. Parce que la cohérence, l’intensité et la puissance que dégage cet album prouvent, s’il était encore besoin, que ces musiciens sont définitivement les fers de lance d’une nouvelle génération d’artistes français biberonnés tant au metal qu’au rap, au street-art, à la variété et la pop, et qui ont réussi à sortir de ces racines multiculturelles une identité propre, bien à eux. Un peu à l’image de la Cité Phocéenne dont ils sont originaires, à la croisée des mondes, au sein de laquelle toutes les racines se mêlent pour n’en former qu’une seule. Une vraie personnalité qui fédère bien au-delà du territoire national.

« The Darkest Place I’ve Ever Been » est fait de ce mixage d’influences diverses et variées, qui pourrait sembler improbable sur le papier, mais son talent a fait que le groupe a tiré du chaudron une recette à la saveur unique qui la rend totalement irrésistible. On y trouve du metal moderne, du rap ("Creature", "Blood Red", "Sombre 16"), des gros riffs et des breaks efficaces, du punk-hardcore ("Creature"), du metalcore teinté pop-punk groovy ("The Great Unknown"), des blastbeats teintés death/black ("Requiem"), de la valse ainsi que de la chanson française poétique et traditionnelle ("La Valse du Temps"), du piano ("Funeral"), des refrains qui buttent ("A Line In The Dust", "Creature", "Blood Red") ainsi qu’une montagne d’émotions poignantes véhiculées par la voix incroyablement versatile de Florent Salfati, qui se paye le luxe de se balader dans des styles diamétralement opposés avec une aisance bluffante, tant en français qu’en anglais.
On se prend d’emblée un parpaing dans les gencives avec le morceau-titre qui, après un démarrage délicat, nous hurle sa rage en pleine face. Puis vient "Creature", ultra puissant avec son rap d’intro et son cri qui explose et vous prend à la gorge. C’est aussi le premier single à avoir été dévoilé début 2024 et qui se révèle être le fil conducteur de l’album. Tout est ici matière à développer l’histoire de la "créature", ce monstre enfoui au fond de l’être qui peu à peu ressurgi lorsque la santé mentale vacille, les dégâts provoqués en soi, autour de soi, l’impact sur l’entourage peu à peu contaminé, jusqu’à ce que le noir recouvre tout de son sombre linceul. Sombre effectivement, cet album l’est sans aucun doute. Plus mature et plus dense aussi.   

"A Line In The Dust" voit la participation de Mat Welsh, le guitariste et second chanteur de WHILE SHE SLEEPS, qui vient poser sa voix éraillée aux côtés de celle de Flo. Un mariage idéal, tant les deux voix s’accordent dans une mélodie hyper catchy et accrocheuse. "Blood Red" navigue entre rap/hip-hop et riffs metal puissants pour l’un des morceaux les plus poignants de l’album : « Et j’ai pansé des plaies, j’ai tenté des choses / J’ai samplé la douleur, j’ai crié des proses. / J’ai cherché le sens, j’ai défié le temps, / J’ai teinté la couleur de larmes de sang » Puis, alors que "Sulfur" se veut résolument metal avec ses guitares agressives, "Sombre 16" est quant à lui, un pur produit de la culture rap des années 90 avec ses scratchs et ses samples, crées par Kévin D’Agostino. On admire d’ailleurs le travail de tous les musiciens, que ce soit les guitares vindicatives de Nicolas Exposito et Paul Cordebard, ou bien la section rythmique en béton armé avec la basse de Rudy Purkart et la batterie de Kévin. Tous forment ainsi un socle solide sur lequel la voix de Florent Salfati peut s’appuyer pour délivrer toute les nuances de sa palette vocale. Partant du principe que l’on est jamais mieux servi que par soi-même, Flo et le groupe ont assuré une production aux petits oignons faite maison, comme de coutume, pour une mise en son admirable.  

Alors que "The Great Unknown", avec son groove dansant façon pop-punk est le morceau qui rappelle le plus les précédents travaux du groupe, "La Valse du Temps" prend le contrepied de ce relatif confort en prenant possession de territoires jusqu’alors inexplorés par le quintet. Une valse à trois temps au son délicat du piano, comme une image quelque peu désuète jaunie par les années sur laquelle on aperçoit des silhouettes grisées, qui se mue en un corps à corps électrisant, violent et sans pitié. Une lutte entre soi et soi, entre ce monstre venu du passé et l’innocence que l’on aimerait retrouver. Avec cet art des mots, de la poésie, de la rime, cette maîtrise de la plume qui fait danser les phrases comme des gouttes de pluie, des notes suspendues dans l’air : « Rien d’important, c’était seulement deux grands enfants qui se jouaient des choses. / Un air d’antan, juste un instant, arrêter le temps pour te cueillir des roses. / Avec le temps, j’ai peur de t’oublier. / Tout est défait, mais pourtant tout est lié. / Rien d'important, souvenir de l'enfance et les feuilles dansent au son de mes névroses. » Puis ce hurlement de rage : « BROKEN » (« Cassé »). Morceau épatant de bout en bout, sans doute le meilleur de LANDMVRKS à ce jour, qui déploie ses ailes dans une danse infernale, insensée et fascinante, où tout est à sa place, tout fait sens, même les mariages les plus improbables. C’est un instantané de l’âme humaine, dans toute sa splendeur bordélique, étalé au grand jour. Pas de rédemption pour celui qui est divisé. Il plonge ensuite dans les profondeurs terrifiantes de "Deep Inferno", jusqu’au "Requiem" final. Ces deux chansons sont menées tambours battants, dans une cadence infernale, la spirale d’un puits sans fond. Comme une excursion sur les terrains du black metal, les hurlements de Flo sur "Requiem" sont exceptionnels... et glaçants ! Tout comme la rythmique en ébullition qui ne laisse aucun répit.

Ce sont les notes de piano, telles des gouttes de pluie qui ruissellent sur la fenêtre, qui introduisent le dernier morceau, ô combien poignant, "Funeral". Douce mais douloureuse ballade dont la moindre lueur d'espoir est absente. En moins de 40 minutes, LANDMVRKS vient de délivrer l’un des albums les plus marquants de ce début d’année, immensément riche de nuances et de subtilités, qui déverse autant de rage que de délicatesse, de puissance que de profondeur. Intense de bout en bout. En ayant ouvert la porte à l’inspiration venue de divers horizons, LANDMVRKS a ainsi trouvé une liberté absolue : celle de créer une musique à son image, bien loin des schémas classiques et des sons génériques dont les ondes sont inondées. Travailleurs acharnés, les cinq musiciens avancent à pas de géant, et il ne fait désormais plus aucun doute que leur chemin les mènera encore plus loin. Beaucoup plus loin.

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