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« La Flûte enchantée », Mozart à la fête foraine

Mathieu Bauer met en scène La Flûte enchantée de Mozart

Photo Laurent Guizard

Mathieu Bauer signe sa deuxième mise en scène lyrique avec une transposition réjouissante de La Flûte enchantée de Mozart donnée à l’Opéra de Rennes, puis en tournée à Nantes et Angers.

Chacune des lettres qui composent le titre de l’ultime opéra de Mozart, Die Zauberflöte, prenant la forme d’une demi-lune accrocheuse, clignote et scintille sur la roue géante érigée en fond de scène. Devant, posé sur un plateau qui tourne à l’huile de coude comme un carrousel d’antan, le décor d’une fête foraine affiche des couleurs aussi sucrées qu’acidulées. Ce cadre original et délicieusement croqué se teinte à la fois d’effervescence joyeuse et de douce mélancolie. Il grise et fait chavirer les personnages mozartiens, jeunes amoureux transis à la découverte d’eux-mêmes, ou prêtres sortis de leur temple sacré. Au milieu d’attractions aussi typiques et pittoresques qu’un train fantôme et un chamboule-tout, les trois dames d’honneur paraissent en drôles de pin-ups dans une vitrine de manège, et les trois enfants en gavroches lunaires munis de ballons à fils gonflés à l’hélium. Pour triompher des épreuves initiatiques du feu et de l’eau, Tamino et Pamina s’engouffrent dans la bouche béante d’une immense tête de mort aux narines fumantes et aux yeux rouges exorbités. Mais la gaieté et la gourmandise l’emportent autour d’une baraque, qui n’est pas à frites, mais plutôt à bonbons et confiseries, où Sarastro n’est pas en reste pour préparer les pommes d’amour.

De La Flûte enchantée, Mathieu Bauer propose une transposition réussie qui renoue avec l’essence éminemment populaire et divertissante de l’œuvre. Sa mise en scène célèbre aussi cette part d’enfance, de naïveté, qui lui est nécessairement liée. Et si sa portée métaphysique n’est pas vraiment la plus exploitée, peu importe, d’autres versions plus intellectualisantes s’en sont déjà chargées, et rares sont les représentations de La Flûte à rassembler toutes ses dimensions aussi riches que fécondes. Le spectacle présenté ici est souriant et vivifiant, à l’image du duo Mann und Weib allègrement chanté par ses interprètes sur des balançoires. Il multiplie les trouvailles simples et amusantes, comme celle de faire apparaître l’attribut magique qu’est la flûte, un simple pipeau en plastique, en la pêchant à la ligne dans la fosse.

Fosse dans laquelle le chef Nicolas Ellis conduit l’Orchestre National de Bretagne – dont il vient de prendre la direction musicale – avec une fraîcheur pêchue et juvénile qui l’emporte sur quelques défauts de netteté. Aux côtés du Chœur de chambre Mélisme(s), de jeunes chanteurs tiennent dans l’ensemble remarquablement leurs rôles. On peut regretter un Tamino à l’émission un peu raide et doté de moyens solides, mais un tantinet forcés. À ce Prince légèrement policé, campé par Maximilian Mayer, s’oppose le Papageno gouleyant et absolument déchaîné de Damien Pass. De l’oiseleur, l’artiste fait un séducteur échevelé, et brûle les planches avec un naturel et une assurance aussi bien dans le jeu que dans le chant, jusqu’à l’accomplissement d’un numéro de music-hall final plein d’humour et de complicité avec la Papagena d’Amandine Ammirati, piquante de sensualité. Elsa Benoit est une Pamina émouvante, qui fait particulièrement admirer la beauté de sa voix et de son style dans son air Ach, ich fühl’s. Lila Dufy, qui remplace pour quelques dates Florie Valiquette, annoncée souffrante, se pare d’une voix souple et légère, et d’un costume de western rétro, pour incarner une Reine de la Nuit anti-paroxystique, sans excès de démonstration, et finement musicale. Les forces de la Nuit s’évanouissent devant le triomphant Sarastro de Nathanaël Tavernier, dont le grave ample est aussi lumineux que son costume jaune constellé, digne du parfait bonimenteur de foire qu’il est.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

La Flûte enchantée
de Mozart
Direction musicale Nicolas Ellis
Mise en scène Mathieu Bauer
Avec Maximilian Mayer, Elsa Benoit, Damien Pass, Amandine Ammirati, Nathanaël Tavernier, Benoît Rameau, Florie Valiquette en alternance avec Lila Dufy, Élodie Hache, Pauline Sikirdji, Laura Jarrell, Thomas Coisnon, Paco Garcia, l’Orchestre National de Bretagne, le Chœur de chambre Mélisme(s) (direction Gildas Pungier), la Maîtrise de Bretagne (direction Maud Hamon-Loisance)
Scénographie et costumes Chantal de la Coste-Messelière
Lumières William Lambert
Vidéo Florent Fouquet
Assistant mise en scène Gregory Voillemet
Assistante préparation Anne Soissons
Fabrication des décors et costumes Ateliers de l’Opéra de Rennes

Coproduction Opéra de Rennes, Angers Nantes Opéra
Avec le soutien de la Fondation Orange

Durée : 3h15 (entracte compris)

Opéra de Rennes
du 7 au 15 mai 2025

Théâtre Graslin, Nantes
du 24 mai au 1er juin

Grand Théâtre, Angers
les 16 et 18 juin

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« Le Malade imaginaire » : un regain de santé et de modernité

Tigran Mekhitarian met en scène Le Malade imaginaire de Molière

Photo Laura Bousque

Tigran Mekhitarian joue et met en scène un Malade imaginaire bien d’aujourd’hui, empreint de culture urbaine et d’une belle énergie.

Exit les Pan, Daphné, Zéphirs, bergères et bergers, Polichinelle et Mores, tous figurant dans les quelques intermèdes qui ponctuent la dernière comédie-ballet de Molière. La musique baroque de Marc-Antoine Charpentier s’est effacée au profit de la batterie fiévreuse de Sébastien Gorski. Les comédiens se font eux-mêmes danseurs en cagoule et jogging noirs. C’est aussi sous la forme d’un « petit rap impromptu » spontanément performé que se donne la Pastorale, dévoilant subversivement l’amour secret d’Angélique et Cléante, qui se fait malignement passer pour le remplaçant de son maître de musique dans l’intention de regagner sa chambre.

Vu dans La Tendresse de Julie Bérès, Tigran Mekhitarian entretient une familiarité d’assez longue date avec Molière dont il a déjà monté plusieurs pièces (Les Fourberies de Scapin, Dom Juan…). L’originalité du geste résolument distancié et parfois un peu appuyé qu’il adopte réside dans sa volonté de rendre pleinement accessible et moderne la pièce qu’il adapte et actualise de façon fort honnête, en restant finalement proche du texte et surtout de ses enjeux, au point de ne chercher à rien raconter d’autre que ce qu’elle dit et contient, tout en la remettant au goût du jour. Entre comique et tragique, les dialogues de Molière, dits dans un parler sec, rapide, nerveux, qui est celui de la jeunesse populaire de notre époque (et pas seulement celle des cités), deviennent des joutes verbales fort bien musclées et envoyées. Au plateau, corps et voix rendent naturellement toute la verve du texte qui abonde en moquerie, insolence et méchanceté, et qu’un jeu classique un peu trop ampoulé aurait presque tendance à policer ou édulcorer.

Du Malade imaginaire, l’inusable mise en scène de Claude Stratz, jouée depuis 2001 dans la salle Richelieu de la Comédie-Française et reprise dernièrement au Théâtre des Champs-Élysées et en tournée, continue, à raison, de s’imposer comme une version de référence. Argan s’y présente en blouse ouverte et couche-culotte, crûment incontinent. Ici, le malade est campé tout autrement : encore jeune homme, de belles prestance et carrure, il impose une humeur vive et impulsive, une allure chic et saillante dans son costard ajusté, tout de vert vêtu – un clin d’œil à Molière mort en interprétant le rôle dans un veston de même couleur.

Las et déprimé sur le siège des toilettes en train de visionner quantité de vidéos sur son téléphone portable ou de compter sur son ordinateur les factures exorbitantes de médicaments dont regorgent les étagères derrière lui, son Argan a sans doute bien moins peur de mourir que de ne pouvoir exercer sa pleine autorité. Aussi, le personnage est tiré du côté du tyran, prompt à hurler dans son bain pour qu’on vienne le servir, à menacer de cinglants coups de ceinture sa désobéissante fille. Il est aussi parfois tellement enfant, ridiculement capricieux et boudeur. Autour de lui, explosent l’énergie d’une jeunesse en pleine révolte et la force de résistance des femmes. Mentionnons la vitalité de L’Éclatante Marine dans le rôle d’une Angélique galvanisée par l’insolente et intrigante Toinette d’Isabelle Gardien. C’est ainsi qu’acteurs et propos s’inscrivent tous bien dans le présent.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Le Malade imaginaire
de Molière
Mise en scène et adaptation Tigran Mekhitarian
Avec (à la création) Serge Avédikian, Anne Coutureau, Isabelle Gardien, Sébastien Gorski, Camila Halima Filali, L’Éclatante Marine, Tigran Mekhitarian, Étienne Paliniewicz
Avec (en tournée) Anne Coutureau, Isabelle Gardien en alternance avec Brigitte Guedj, Sébastien Gorski, Camilla Halima Filali en alternance avec Mélanie Ferrara, L’Éclatante Marine, Tigran Mekhitarian, Cédric Welsch, Étienne Paliniewicz
Direction artistique La Compagnie de l’Illustre Théâtre
Assistance à la mise en scène Lucie Baumann
Création sonore et musique Sébastien Gorski
Chorégraphies Camila Halima Filali
Lumières Denis Koransky
Scénographie Georges Vauraz
Costumes Axel Boursier
Création vidéo Jérémy Vissio
Régie générale Camille Jamin
Régie plateau Malène Seye
Régie son et lumières Guillaume Rouchet
Habillage Andréa Millerand

Coproduction En Scène ! Productions ; À Mon Tour Prod ; Tcholélé Théâtres
Soutiens Théâtre de Sartrouville et des Yvelines – CDN, le Théâtre de Suresnes Jean Vilar, Le Salmanazar – Scène de création et de diffusion d’Épernay, la Ville d’Ablon-sur-Seine – Centre Culturel Alain Poher, la Ville de Louvres – Espace Culturel Bernard Dagues, le Centre des Bords de Marne du Perreux-sur-Marne
Avec la participation artistique du Studio-ESCA
Avec le soutien de l’Adami

Durée : 1h50

Vu en mars 2024 au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Théâtre de la Concorde, Paris
du 9 au 22 mai 2025

Palais des Rencontres, Château-Thierry
le 5 juin

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« Peter Grimes », l’amour amer

Photo Agathe Poupeney

L’Opéra de Lyon programme l’œuvre de Benjamin Britten dans une production d’une belle puissance musicale et théâtrale avec le ténor Sean Panikkar, secouant dans le rôle-titre, entre désir et destruction.

La scène complètement nue penche dangereusement et évoque la sécheresse d’une falaise comme la blancheur de l’écume. Pour autant, à l’inverse de la très belle version de Peter Grimes signée par Deborah Warner et donnée dernièrement à Paris, la mise en scène proposée par Christof Loy à Lyon ne supporte aucun figuralisme. Si son geste minimaliste se garde bien d’illustrer les bateaux, cabanes en bois ou pubs bondés propres à l’univers marin offert pour cadre à l’action, et abondamment audibles dans les harmonies imitatives du flot musical composé par Britten, son dépouillement se révèle particulièrement propice à l’exposition frontale et sans concession du déchaînement de passions à la fois contrariées et hypertrophiées des personnages. Impressionnante d’intensité, la relecture proposée n’atténue pas la tempête qui fait rage dans le petit village de pêcheurs, mais la déplace vers un espace mental, intérieur, comme en témoigne l’agitation d’un Peter Grimes intranquille et tourmenté.

Le spectacle créé en 2015 à Vienne expose sans fard toutes les ambiguïtés et la complexité du héros éponyme comme du drame dans lequel il s’engouffre. Le propos qu’il défend est inspiré de la biographie de Britten lui-même, qui entretient jusqu’à la fin de sa vie une relation de couple avec le ténor Peter Pears, d’ailleurs créateur du personnage de Peter Grimes. Il place justement au centre des enjeux le tabou de l’homosexualité – un thème récurrent chez le compositeur de Billy Budd ou de Mort à Venise. Plusieurs scènes clés de l’ouvrage baignent dans un homoérotisme bien patent. La représentation laisse par exemple aisément deviner que le fidèle Balstrode est, ou a été, l’amant de Grimes. Plus encore, elle fait le choix de distribuer le rôle muet de l’apprenti non pas à un jeune enfant, mais plutôt à un bel homme à l’allure d’éphèbe, aussi bien courtisé que brutalisé par Grimes, véritablement attiré par le corps masculin tout en se gargarisant des sévices qu’il lui inflige.

L’exclusion et la vindicte subies par le héros de Britten prennent alors un tout autre sens. Sa mise au ban d’une société étroite et étriquée s’explique ici par sa différence non acceptée. Pour souligner la violence gratuite et haineuse d’un tel fait, Christof Loy met en branle une foule aux mouvements parfaitement réglés. Le choix d’un interprète aussi intense que Sean Panikkar pour endosser un Peter Grimes à la fois rude et brisé est aussi signifiant. Ardente présence scénique, voix puissante, mais aussi dotée d’une infinie douceur, le ténor américain d’origine sri-lankaise joue un homme vulnérable et traqué par toute une communauté soupçonneuse aux réflexes xénophobes et homophobes. La pauvreté sociale du groupe est alors moins exploitée que sa déliquescence morale dont se distingue la droite et digne Ellen, campée de façon vibrante par Sinéad Campbell-Wallace.

Cette excellente distribution comprend des solistes et des chœurs dont les moyens vocaux sont colossaux. Le jeu très engagé permet de donner aux nombreux rôles un fort beau relief. Sous la direction du chef Wayne Marshall, la partition bouillonnante de Benjamin Britten se fait aussi douce que sauvage. Sa palette richement colorée et ses traits expressifs cinglants sont restitués par l’orchestre de sorte à faire entendre l’exaltante force hypnotique, comme les accents rageurs, grotesques ou macabres, d’une pièce bouleversante de beauté et de modernité.

Christophe Candoni – www.sceneweb.fr

Peter Grimes
de Benjamin Britten
Livret Montagu Slater, d’après un poème de George Crabbe
Direction musicale Wayne Marshall
Mise en scène Christof Loy
Avec Sean Panikkar, Sinéad Campbell-Wallace, Andrew Foster Williams, Carol Garcia, Katarina Dalayman, Thomas Faulkner, Alexander de Jong, Filipp Varik, Eva Langeland Gjerde, Giulia Scopelliti, Lukas Jakobski, Yannick Bosc, Erik Årman
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon
Scénographie Johannes Leiacker
Costumes Judith Weihrauch
Lumières Bernd Purkrabek
Chorégraphie Thomas Wilhelm
Collaborateur artistique Georg Zlabinger
Chef des Chœurs Benedict Kearns

Production Theater an der Wien

Durée : 3h (entracte compris)

Opéra national de Lyon
du 9 au 21 mai 2025

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